Découvrez la scène musicale girondine vue par les bibliothécaires musicaux !

La Gazette du Festival 33 TOUR – épisode #01 : Rencontre avec Emmanuelle Troy

Musicienne, chanteuse, réalisatrice, pédagogue, les cordes ne manquent pas à l’arc d’Emmanuelle Troy qui, depuis des années, explore les musiques du monde – celles d’Eurasie en particulier – au sein de la Compagnie Ar’Khan dont elle est la coordinatrice artistique. Elle sera en concert à la bibliothèque de Bordeaux Bacalan le vendredi 02 juin à 18h30  pour un concert dessiné pluriel en cours de création, mais déjà très prometteur !  : « Du côté de MĒHMĀN » en compagnie de Michaël Amouroux et de Philippe Bichon dans le cadre du festival 33 TOUR.

Emmanuelle, tu explores depuis plus de 20 ans les musiques ‘du monde’ et/ou improvisées, y associant littérature, cinéma, danse, arts plastiques, dégustation de chocolat, et même voltige dans les arbres. D’où te vient ce désir de proposer des spectacles mêlant autant de disciplines ou de mises en situation ?

Difficile à définir… disons que je ne peux ni ne veux me limiter à une seule discipline, un seul point de vue… Je n’aime pas mettre les gens, ni les spectacles dans des cases ! J’ai toujours aimé mélanger les genres, donner à sentir la diversité des émotions et des perceptions du réel. Artistiquement j’aime laisser les gens faire leur propre itinéraire dans mes propositions, sans trop les guider… (y compris dans mes films). Ce n’est pas pour rien que je suis fan de Virginia Woolf !

On est tous le fruit de mélanges, d’une histoire complexe, et je me méfie beaucoup des discours simplistes – surtout en ce moment… Mais bien sûr, il ne s’agit pas de se perdre, et de perdre le spectateur ! Juste essayer de rendre toutes les nuances et les multiples facettes de la vie.

Ceci dit, c’est tout de même le chant qui est mon moyen d’expression le plus essentiel, enrichi de la rencontre avec les autres arts, et avec les gens.

Comment s’est monté ce nouveau spectacle ?

Ça fait maintenant presque 7 ans que l’envie d’un concert dessiné a émergé, et que le projet a doucement démarré – une longue gestation, avec la recherche des bons partenaires (et des fois ce n’est pas simple ! Il faut faire avec les disponibilités, les personnalités plus ou moins compatibles, les contraintes administratives et logistiques…).

Concrètement ça fait 2 ans qu’on travaille sur la production, et un peu (trop peu) sur la dimension artistique. Heureusement, maintenant que des partenaires de référence comme l’OARA, Iddac, la ville de Bordeaux nous ont rejoints, on va pouvoir enfin s’atteler au principal : continuer la recherche et le tissage des musiques, du dessin, la rencontre et l’enregistrement des témoins. C’est une dimension importante de ce projet : donner entendre la parole de voyageurs différents, volontaires ou, hélas, involontaires… C’est essentiel pour nous de faire en ce moment un spectacle qui parle d’hospitalité…

Les très larges extraits qu’on en donnera – en avant-première pour le Festival 33 Tour ! – seront déjà un mélange à la fois musical, graphique et sonore, avec les voix et les récits de « voyageurs » différents. C’est très chouette pour nous de le proposer aux gens de Bacalan, ce spectacle, qui fait dialoguer les cultures, les musiques traditionnelles rencontrées au fil du voyage et les expériences de vie…

Chaque instrument utilisé a-t-il une fonction particulière pour l’histoire qui sera racontée et mise en musique ?

Oui bien sûr ! On s’attache à faire découvrir, au fil des étapes, les musiques et instruments propres aux 15 pays qu’on traverse dans le spectacle, et on adore explorer et faire découvrir ces sonorités – en lien avec les émotions suscitées par les différents récits. On prend tout de même quelques libertés, on s’adapte – impossible d’avoir et de jouer tous les instruments de tous ces pays ! Mais on essaie d’être au maximum fidèles à ces traditions musicales, si insolites et belles.

On vit une époque où de plus en plus de populations sont appelées à migrer pour des raisons politiques, environnementales ou économiques. Quel est ton point de vie là-dessus en tant que musicienne et citoyenne ?

C’est essentiel de rappeler que les migrations, c’est depuis toujours – la langue qu’on parle, les instruments qu’on joue, notre nourriture et jusqu’à nos gènes en sont la preuve vivante. On a la mémoire horriblement courte ! Je trouve terrible, par exemple, que les descendants de réfugiés italiens, espagnols ou polonais adhèrent aux idées criminelles des racistes du Front National (rien d’un « rassemblement », ce parti, ça reste une école de la haine et de la division). D’ici quelques dizaines d’années, ce seront peut-être eux qui devront fuir la catastrophe climatique ou la guerre ! Comment peut-on être à ce point insensible et aveugle ?! Quant aux arguments économiques, il suffit de lire les rapports d’Oxfam – et même de l’ONU – pour comprendre, sans naïveté, qu’il est possible de trouver l’argent pour accueillir dignement les réfugiés ! En tout cas, par nos arts mêlés et par les témoignages humains que nous voulons faire entendre dans ce spectacle, on espère contribuer à ouvrir un peu plus les cœurs et les consciences des gens, en même temps que leurs oreilles et leurs yeux !

Cela représente-t-il quelque chose de particulier de proposer une action dans une bibliothèque dans le cadre d’un festival qui met la musique à l’honneur la musique dans les bibliothèques ?

Carrément, c’est important ! Personnellement, j’ai toujours pensé qu’une bibliothèque servait aussi à enrichir la vie musicale des gens ! J’y ai moi-même découvert beaucoup de musiques que je connaissais peu ou mal. Alors le Festival 33 tour, tout comme l’initiative commune de Gironde Music box, je trouve ça super, vraiment. Sinon les gens tournent en rond, et se contentent de ce qu’ils connaissent déjà et/ou ce que leurs imposent les marchands de soupe commerciale… Une bibliothèque, c’est le symbole même de la curiosité, et de l’ouverture à l’autre.

La playlist des chants et voix qui comptent pour moi (sélection de raretés, parmi tant de belles choses) :

 

A visionner aussi sur YouTubeMusic

Titre 1 (Turquie) : Kardeş Türküler / Hem Okudum Hem Yazdım / tiré de l’album : « Bahar » (2006)

Titre 2 (Grèce) : Angélique Ionatos / O Erotas / tiré de l’album : « O Erotas » (1995)

Titre 3 (Espagne sépharade / Argentine) : Dawn Upshaw + The Andalucian Dogs (+ Osvaldo Golijov + Luciano Berio) / Ariadna en su Laberinto / tiré de l’album : « Ayre » (2000)

Titre 4 (Tuva / Mongolie) : Huun Huur Tu (feat. Sainkho Namtchylak / Dembildey – Nomad Dance (= Oske Cherde) / tiré de l’album : « Mother Earth ! Father Sky ! »

Titre 5 (Azerbaïdjan) : Alim Qasimov / Bagishlamani / tiré de l’album : « Love’s Deep Ocean » (2000)

Titre 6 (Turkestan chinois – « Xinjiang ») : Sanubar Tursun (Senuber Tursun) / Kelmidi Yar (My Love Did Not Come) / tiré de l’album : « Arzu (Songs of the Uyghurs) » (2013)

Titre 7 (Argentine) : Mercedes Sosa / Alfonsina y el mar / tiré de l’album : « Gracias a la vida » (1975)

Titre 8 (Canada) : Joni Mitchell / Hejira / tiré de l’album : « Hejira » (1976)

Titre 9 (Royaume-Uni) : Kathleen Ferrier (Wiener Philharmoniker · Bruno Walter) / Oft denk’ ich, sie sind nur ausgegangen ! / tiré de l’album : « Mahler – Kindertotenlieder » (1950)

Titre 10 (France) : Élise Caron / Eurydice ter / tiré de l’album : « Eurydice bis » (2005)

et en bonus – hommage :

Titre 11 (USA) : Harry Belafonte / « Jamaica Farewell » / tiré de l’album : « Golden Stars » (2016)

Pour en savoir plus :

La suite (en musique « du monde ») ici ! (notamment Savina Yannatou (Σαβίνα Γιαννάτου)